FRONTIÈRES ET LIMITES
Wilson R.M. Krukoski
(Traduction de André Selon)
- Nous avons appris que les éléments fondamentaux qui forment une nation sont les suivants: "Peuple", "Gouvernement" et "Territoire".
- Les présentes considérations auront pour objet plus spécifiquement ce dernier élément. "Territoire" est la superficie délimitée par des frontières, où une nation exerce sa souveraineté.
"La première frontière fut marquée sur le terrain par le premier être qui comprit sa position en face de son semblable le plus proche. De la propriété individuelle, elle passa à la souveraineté collective, c'est-à-dire à la maison, à la ville, de la ville à la province et de celle-ci au pays. Tout a des limites, lignes, bornes, mur ou autre désignation qui vise aux caractéristiques des possessions matérielles de quelqu'un, homme ou entité sociale." (Castilhos Goycochea).
- En faisant une analyse rétrospective au long de l'Histoire, nous pouvons constater que le concept lié à Territoire, comme nous l'entendons aujourd'hui, n'a commencé à être utilisé qu'il y a un peu plus de trois cents ans. Jusqu'alors les nations avaient leurs territoires définis jusqu'où leurs gouvernements respectifs avaient la capacitié d'exercer leur souveraineté.
- Le concept de nation était alors lié à un centre communautaire, une ville avec son gouvernement, son peuple et sa culture, influençant les nations circonvoisines. C'est ainsi que nous étudions, avec une maigre définition géographique, la localisation et les contours de l'Empire Romain, les domaines de Charlemagne, l'Empire Ottoman etc...
- La matérialisation sur le terrain, avec des signaux définissant les limites d'un territoire, commença normalement à se faire à partir du XVIII siècle. C'est ainsi que nous trouvons les premières tentatives de délimitation dans le continent avec les traités de Madrid (1750) et de San Ildefonso (1777), qui visaient à séparer la terre des Espagnols et des Portugais.
- Au début, on chercha à avoir pour frontière une région hostile ou un obstacle difficile à franchir. Ou, autrement dit, c'était le lieu le plus éloigné où pouvaient arriver les influences d'un peuple. Généralement il était constitué par un cours d'eau, une montagne, un désert qui servaient de parapet ou de séparation. L'intention était réellement de séparer les nations. Dans les temps modernes, le concept "de séparer" a changé entièrement.
- Une frontière n'est plus un paragraphe d'un Traité, ni une ligne sur une carte, mais une structure complexe et fonctionnelle sur la face de la terre.
- Nous devons tout de suite distinguer deux termes, souvent utilisés improprement comme synonymes: "Frontière" et "Limite".
- Le terme "Frontière"est plus large et se réfère à une région tandis que le terme "Limite" est lié à une conception précise, linéaire et parfaitement définie sur le terrain.
- Focalisant avec objectivité l'implantation des limites, les spécialistes en la matière ont divisé ainsi les phases par lesquelles elle passe: "Précédents historiques", "Délimitation", "Démarcation" et "Caractérisation".
- Dans la phase des "Précédents historiques" sont étudiées les caractéristiques culturelles des peuples qui occupent les différentes régions, ainsi que d'éventuelles tentatives antérieures (sans succès ou annulées) pour l'établissement de la frontière. On ne saurait nier qu'une grande partie des problèmes africains découle de l'inobservation de ces précédents lors de leur division politique.
- On considère comme phase de "Délimitation" l'établissement et la ratification des Traités qui portent sur cette question.
- Dans cette phase, les négociateurs de l'un et de l'autre pays décident sur le vu de la documentation disponible, comment doit être tracée la ligne de délimitation des territoires en cours de définition; c'est un processus essentiellement politique.
- On passe ensuite à la phase de la "Démarcation", quand les techniciens en cette matière cherchent à interpréter sur le terrain les intentions de ceux qui ont décidé de la délimitation. C'est là une phase technique qui, cependant, peut présenter des difficultés d'interprétation pour trouver, sur le terrain, le cours d'eau, le lac, la montagne ou tout autre accident géographique qui ait servi de base à la délimitation.
- Dans cettte phase sont implantées les "bornes de délimitation" ou "bornes principales", qui définissent les grandes lignes du contour du territoire du pays en question.
- Finalement, nous avons la "Caractérisation", phase strictement technique, dans laquelle on cherche, à mesure qu'augmentent les nécessités découlant des occupations populationnelles, le long des frontières, à placer de nouvelles bornes destinées à définir la ligne de limite, strictement dans l'esprit établi par les techniciens en démarcation.
- Aussi bien la "Démarcation" que la "Caractérisation" sont effectuées par des Comissions Mixtes, formées par des techniciens des pays limitrophes.
- Obéissant à une hiérarchie logique, aucune phase ne peut modifier la phase précédente. De ce fait, les techniciens qui procèdent à l'amélioration de la caractérisation d'une frontière, doivent tenir compte de ce qui a été antérieurement établi par les techniciens en démarcation, de la même façon que ceux-ci cherchent à s'attacher à l'esprit du traité qui a établi la délimitation.
- Il existe encore des nations dont les frontières se trouvent dans les différentes phases citées plus haut. La plupart sont déjà passées de la Délimitation à la Démarcation et sont entrées dans le processus de caractérisation, qui est un processus continu, pratiquement interminable, toujours sujet à de meilleures définitions.
- Nous avons aussi des nations en train de naître. Lors de sa création, l'ONU comptait une demi-centaine de nations. Aujourd'hui, l'ONU est composée de presque deux centaines d'états indépendants.
- Dans plusieurs problèmes internationaux de l'actualité, nous pourrons identifier des cas où une révision, depuis les précédents historiques, est nécessaire pour atteindre avec succès les phases de Délimitation et de Démarcation.
- Dans les processus de sécession de l'Est Européen, la naissance de nouvelles nations est un fait présumable. Les mesures visant à l'établissemebnt de leurs territoires découleront, naturellement, dans le cadre de l'échelonnement des phases précitées.
- Nous focaliserons ensuite les différents types de frontières. Une manière utilisée pour distinguer les frontières est de les diviser en deux types: Frontières Naturelles et Frontières Géométriques ou Artificielles.
- Parmi les premières, se trouvent les frontières Hydriques ou cours d'eau, et les Orographiques ou sèches, qui sont faites par les lignes de partage des eaux, les montagnes et autres accidents géographiques.
- Parmi les "Frontières Géométriques" nous avons les Lignes Géodésiques (parfois appelées erronément "droites"), et les Lignes Géographiques (Méridiens et Parallèles).
- Nous allons maintenant observer les différents signaux qui, généralement sont placés aux frontières, pour montrer exactement les lieux par où passent les lignes de limites.
- Nous avons les Bornes Frontières placées exactement par où court la ligne, et nous avons les Bornes Repères, placées près de la ligne de limite; c'est le cas quand la ligne suit un cours d'eau, quand nous plaçons alors des bornes sur ses rives.
- Nous avons aussi l'habitude d'appeler les bornes en fonction de leur importance; c'est ainsi que nous avons Bornes Principales, Bornes Secondaires, Intercalées ou Intermédiaires, selon qu'il s'agit des bornes placées initialement, à l'occasion du processus initial de "Démarcation"(les premières) ou, en continuation, dans les travaux de "Caractérisation".
- Il existe aussi les Bornes de Déviation. On appelle ainsi les bornes placées suivant la ligne de limite, quand celle-ci ne suit pas rigoureusement ce qui était prévu dans le document de base de "Délimitation"; c'est le cas près de localités situées à proximité de la frontière; ces bornes, lorsque s'accentue la "Caractérisation", doivent être placées un peu en dehors d'une ligne de partage des eaux (normalement en faisant une compensation de superficies), pour faciliter cette caractérisation.
- Nous avons dit plus haut que les frontières et les limites étaitent établies autrefois pour séparer des peuples. Aujourd'hui c'est dans les bandes ou zones frontalières que se font les meilleurs échanges des nations modernes. On les appelle "Frontières vives", étant donné que les frontières-obstacles ont reçu les bienfaits de la civilisation et se sont unies.
- Avec le rapprochement actuel des pays et l'apparition des Communautés de Nations, on pourrait penser que les frontières seraient, dans l'avenir, condamnées à disparaître. Nous ne le croyons pas. La manière de les traiter a changé, mais on ne pourra jamais s'en dispenser.
- Nous pourrions faire une comparaison avec le cas de la séparation entre habitants, à la campagne, où une vieille clôture, ou un marécage, suffit à séparer les propriétés; en contraste avec la délimitation de terrains dans une ville, où les lots hautement valorisés sont définis au millimètre, ce qui exige un cadastre parfait et une édification précise.
- Il est toujours opportun de rappeler que "Bonnes clôtures font bons voisins".
- Regardons maintenant le Brésil. Nous entendons que toute la phase de Délimitation a déjà été effectuée et que toute la phase de Démarcation est accomplie. Nous sommes dans toutes nos frontières et menons à bonne fin la phase de Caractérisation.
Au Ministère des Relations extérieures, les questions de frontières et de limites ont déjà été fondamentales. Il suffit de voir l'ère de Rio Branco, qui sut si bien traiter de nos limites frontalières, au moyen d'une exceptionnelle stratégie politique et diplomatique. Toutefois, croire que ne persistent plus de problèmes et de travaux à propos de frontières et de limites serait une grave erreur. Ces travaux n'ont jamais de fin, parce que ces questions, typiquement de cadre binational, ne peuvent être traitées que par des commisions mixtes, au prix d'un travail continu et dûment spécialisé.
- Outre les activités consulaires de frontière, persistent toujours des détails spécifiques, propres de la phase de caractérisation, qui sont l'objet, au Brésil, d'un travail continu de deux Comissions techniques du Ministère des Relations extérieures, l'une dont le siège est à Rio de Janeiro, chargée des limites brésiliennes avec la Bolivie jusqu'à l'Uruguay, et l'autre dont le siège est à Belém, et qui s'occupe des problèmes de limites avec le Pérou vers le nord. Ces activités sont coordonnées par la Division des Frontières du Ministère des Relations extérieures, à Brasilia.
- Pour finir, il convient d'observer que le sujet ici traité, bien que portant sur l'aspect des limites internationales, est applicable aussi à l'intérieur du pays, quand il s'agit des limites des Etats et des Communes.
- La possession et la propriété d'une terre ont pour base essentielle le concept fondamental de souveraineté.
- On définit "Possession" comme capacité de disposer, et "Propriété" comme droit de disposer de la chose; nous avons la "Souveraineté" comme le droit et la capacité de décider sur la propriété et la possession.
- Cependant, la souveraineté, dans une région, n'est parfaitement établie que par une définition précise de ce territoire, ce qui n'est possible que par l'établissement de ses frontières.
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